François Bou

Directeur Général de l’Orchestre National de Lille

Bonjour Monsieur Bou  et merci de nous recevoir.

Nicolas Foulon, notre responsable presse m’a parlé de la Gazette de Lille et je vous reçois avec plaisir.

Pouvez-vous me dire quelques mots sur l’aventure hors norme de l’orchestre national de Lille, l’ONL ?

C’est une réelle odyssée, un magnifique voyage initié par Jean- Claude Casadesus. Venu en 1975 pour terminer le contrat d’un orchestre destiné à disparaître et dont les musiciens étaient en grève, il a réussi un miracle.

Qui l’a aidé dans ce redressement spectaculaire ? De 33 musiciens, l’orchestre aujourd’hui en présente une centaine.

Deux personnalités ont permis ce succès : d’abord, Pierre Mauroy qui a eu conscience qu’un orchestre philarmonique à Lille pouvait être utile au rayonnement régional et national de sa ville ; puis plus tard, Daniel Percheron qui a manifesté une forte volonté politique d’inscrire la culture au cœur de la région.

Quel était l’objectif de Jean Claude Casadesus ?

C’est toujours le même : faire accéder le plus grand nombre à la musique ; porter la musique partout avec une exigence identique de qualité quel que soit le lieu.

L’Orchestre de Lille va effectivement au-devant du public. 

Oui, l’orchestre s’est produit dans plus de 250 villes ou villages de la région ; il se déplace aussi dans les collèges, les maisons d’arrêt…

à l’étranger ?

Bien sûr, l’ONL a été invité à se produire dans plus de trente pays, notamment trois fois en Chine.

Après cette belle période, un nouveau cycle va commencer avec la succession annoncée de Jean-Claude Casadesus et votre arrivée début 2014 ?

Oui, Jean-Claude Casadesus a pris l’initiative d’ouvrir sa succession en douceur. Le poste de Directeur Général que j’occupe a été créé dans le cadre de cette transition.

Jean-Claude Casadesus vous connait bien ; dans une interview récente, il parle de votre large expérience, de votre grande connaissance de la Maison et de la région.

Effectivement, je suis déjà venu à Lille en 1999 en qualité de directeur artistique délégué de l’ONL ; j’y suis resté  huit années ce qui constitue mon plus long parcours professionnel. Pendant cette période, j’ai créé deux festivals : le Lille piano(s) festival avec Jean-Claude Casadesus né de l’impulsion « Lille 2004 » et le festival de violon de Boulogne en 2006.

J’ai lu que vous aviez suivi des études de droit, de chant et d’art lyrique ; cette vocation musicale vient-elle de vos parents ?

Non, mes parents géraient une entreprise de plomberie. J’ai eu la chance de faire mes études au lycée Henri Martin de St Quentin. Ce lycée proposait des classes de musique. La ville mettait aussi le théâtre municipal à la disposition des collégiens et j’ai pu ainsi monter des pièces  dès l’âge de treize ans. L’éveil à l’art dans les écoles est essentiel. L’orchestre de Lille y contribue avec ses rencontres scolaires de la maternelle à l’université.

Vos expériences professionnelles et vos rencontres vous permettent d’accéder à des postes de responsabilité.

J’ai travaillé à l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, puis auprès de Pierre Boulez. Ensuite, j’ai occupé des postes de direction de la programmation et de la production à l’Opéra du Rhin, de Rouen, à l’Opéra-Comique de Paris.

Après votre passage à Lille, vous êtes pendant deux années Responsable de projets dans le département des tournées internationales de la grande agence artistique Van Walsum Management à Londres ce qui vous permet de travailler auprès des plus grands chefs d’orchestres internationaux.

Oui, ces deux années ont été intenses : j’ai pu notamment organiser les tournées du Philharmonia Orchestra, du Théâtre Marliisnky à l’occasion du centenaire des Ballets russes, de l’Orchestre Philharmonique de Munich, de Montréal, de l’Orchestre Symphonique de Los Angeles…

Lors de la restructuration de l’agence, on vous parle de la vacance du poste de Directeur Général de l’orchestre Symphonique de Barcelone, poste que vous obtenez et c’est un succès.

Je suis arrivé en 2009 dans un contexte particulier : l’orchestre pâtissait d’une grande instabilité. Les directeurs musicaux successifs étaient contestés. J’ai pu grâce à des collaborations locales et étrangères instaurer la transversalité des arts et développer le rayonnement de l’Orchestre. Enfin, je suis fier d’avoir fait nommer le chef japonais Kazuchi Ono.

Je sens que ces années à Barcelone vous ont marqué.

Oui, Barcelone et le peuple catalan sont extraordinaires. C’est une société qui se bat pour son identité de manière pacifique. Intuitivement, j’ai ressenti que j’étais chez moi à Barcelone. Peut-être à cause de mon nom et de mon imagination.

Votre mission à Barcelone ressemble-t-elle à celle de Lille ?

Non, pas du tout ! à Lille, l’ONL est en pleine santé artistique, la situation financière est saine. Ma mission est à la fois simple et délicate : faciliter la succession du chef fondateur. Son ADN en 40 ans est le marqueur de l’Orchestre. Puis, continuer l’exigence de l’excellence artistique. programmer autant de concerts en région, fidéliser et faire venir en plus grand nombre le public dans l’auditorium de Lille à l’acoustique exceptionnelle, relancer un projet.

Le public évolue ?

On est dans une société du zapping ! La télévision passe beaucoup de clips ; Radio classique a fait son succès en ne diffusant que des morceaux comme si on ne lisait que des résumés de livre !

Un concert, c’est s’asseoir et écouter ; inciter à  « penser par les oreilles »

 Pour cette raison, on travaille sur la qualité du son. Les travaux dans l’auditorium ont duré 18 mois ; il est donc nécessaire d’inciter le public à le découvrir ou à y revenir.

Avec la Région, on réfléchit à la création d’une Maison de la Musique, un lieu qui resterait ouvert et animé en dehors des concerts. On travaille aussi sur l’accueil, l’aménagement du bar, la création d’une boutique.

Par ailleurs, la concurrence aussi évolue. Par exemple, Caroline Sonrier, directrice de l’Opéra de Lille fait un travail remarquable. Nous devons donc renforcer nos ventes.  Nous devons dépasser nos 180.000 auditeurs actuels au regard d’une population régionale de 4 millions.

Votre programmation est devenue très variée.

Notre objectif est de faire venir un nouveau public qui appréciera plus tard le grand répertoire symphonique. Ainsi, ont été créés les ciné-concerts avec projection de films sur grand écran. De même, une nouvelle série de concerts « Famillissimo » a été conçue à des horaires et des thèmes adaptés aux familles. La formule pause-déjeuner « les concerts-flash » lancée en 2013 continue. Le public est aussi accueilli lors des avant-concerts, des répétitions ouvertes.

Vous venez de bénéficier d’un studio numérique exceptionnel ?

Oui, nous sommes le premier orchestre d’Europe à être équipé d’un système mobile de haute technologie entièrement numérique. Grâce à cet ensemble, les contenus numérisés seront interactifs, audiovisuels et connectés. Il s’agit de démultiplier la projection immatérielle de l’orchestre.

Les 12, 13, 14, juin a lieu le Lille piano festival ?

Ce sera la douzième édition. Trois jours de festival, une cinquantaine  d’artistes, le rendez-vous incontournable des amoureux du piano. En particulier, le « Prométhée » d’Alexandre Scriabine sera un évènement exceptionnel. Son idée visionnaire d’une symphonie sonore et colorée sera réalisée grâce à une création mêlant lumières et vidéo projection, d’où le titre du festival «  Piano Chromies ».

Ces rencontres participent aussi à notre politique d’ouverture et de diversification des publics puisque 80% des participants à ces trois jours ne sont pas encore des abonnés de l’Orchestre.

Le lancement de la saison des 40 ans de l’Orchestre commence par un évènement exceptionnel ?

Oui, le 17 juillet, les 100 musiciens de l’Orchestre et 200 choristes seront dirigés par Jean-Claude Casadesus au stade Pierre Mauroy qui pourra contenir 13.000 places dont la moitié à 10€. Au programme : Fanfare pour précéder la Péri de Paul Dukas, le Boléro de Maurice Ravel et Carmina Burina de Carl Off.

Pour terminer cet entretien, puis-je vous poser quelques questions inspirées du questionnaire Marcel Proust ?

Pourquoi pas !

Qu’est-ce-qui-vous rend heureux ?

Un projet réussi.

Qu’est-ce-qui vous énerve le plus?

La mauvaise volonté.

Quelle est la forme d’art qui incite le plus à la spiritualité ; la peinture, la musique ?

L’art se mêle ; en 2004, j’avais demandé au jeune et talentueux compositeur Thierry Escaich de créer une transcription musicale du tableau « La descente de Croix » de Rubens exposé aux Palais des Beaux-Arts de Lille. Saisi par ce tableau de la mort du Christ, l’effarement, le doute des apôtres qui se détournent, l’attente de la résurrection, l’artiste a créé une œuvre admirable suscitant fièvre et espoir « Vertiges de la Croix ».

Votre passetemps préféré en dehors de votre métier ?

La lecture.

La blague que vous aimez faire ?

Chercher chaque jour les plus mauvais jeux de mots.

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